Le crépuscule des pensées

Le crépuscule des pensées est l'un des derniers ouvrage que Cioran rédigera en roumain. Ce livre "veut décrire l'envers de cet individu "capable de flammes, d'élans barbares et d'explosion" qu'est alors Cioran historique, n'en reste pas moins affecté d'une très grande frénésie. La souffrance y est présentée comme un signe d'existence ; la destruction, louée comme un principe de création ; et de la conscience, rejetée au profit d'une "orgie intérieure", d'une "ivresse infinie et exaltée". Quant à la règle de vie qui sy exprime : "Etre à chaque instant à la limite de son être", elle amène son auteur à un éloge de l'"irrationnel de la vie" contre l'esprit." en dira P. Bollon dans une biographie parue en 1997.

L'amour montre jusqu'où nous pouvons être malades dans les limites de la santé :
l'état amoureux n'est pas une intoxication organique, mais métaphysique.
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Si l'amour n'était pas ce mélange insoluble de crime prémédité et d'infinie délicatesse, comme il serait aisé de le réduire à une parole ! Mais les souffrances de l'amour dépassent les tragédies de Job... L'érotisme est une lèpre éthérée...
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Le penchant vers la sincérité est un symptôme maladif par excellence, une critique de la vie.
Qui n'a pas tué l'ange en lui est destiné à périr.
Sans erreurs, on ne peut respirer ne serait-ce qu'un instant.
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Pour ne pas s'ennuyer, il faut être saint, ou imbécile : la vacance essentielle de la conscience définit la condition humaine. L'ennui est une sorte d'équilibre instable entre le vide du coeur et celui du monde, l'équivalence de deux vides, qui reviendraient à l'immobilité, s'il n'y avait la présence secrète du désir.
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Celui qui ne trouve pas qu'après chaque chagrin le monde est devenu plus pâle, que les rayons du soleil sont plus timides et que le devenir demande des excuses, en brisant son rythme - à celui-là manquent les fondements cosmiques de la solitude.
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Lorsqu'on a compris que les hommes ne peuvent rien vous offrir, et que l'on continue cependant à les fréquenter, c'est comme si l'on avait liquidé toutes superstitions tout en continuant à croire aux fantômes. Dieu, pour contraindre les solitaires à la lacheté, a créé le sourire, anémique et aérien chez les vierges, concret et immédiat chez les femmes perdues, attendrissant chez les vieillards et irrésistible chez les moribons. D'ailleurs rien ne prouve plus que les hommes soient mortels que le sourire, expression de l'équivoque déchirant du provisoire.
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L'éternité est la serre où Dieu se fane depuis les commencements, et l'homme, de temps en temps, par la pensée.
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La mélancolie me dispense de l'alpinisme. Lorsqu'on commence à comprendre les montagnes d'en bas...
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Il est des regards féminins qui ont quelque chose de la perfection triste d'un sonnet.
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Je ne voudrais pas perdre ma raison. Mais il y a tant de vulgarité à la garder !
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La vie est éthérée et funèbre comme le suicide d'un papillon.
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La solitude n'apprend pas à être seul, mais le seul.
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La paresse est un scepticisme de la chair.
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Tout désespoir est un ultimatum à Dieu.


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