Aveux et Anathèmes

Il serait absurde de tenter une description (et plus absurde encore une explication) des ouvrages de Cioran pour la simple raison qu'ils sont, pour la pluspart, constitués d'aphorismes ou de courts paragraphes sans cohérence autre que leur ton. "Aveux et Anathèmes" ne déroge pas à cette règle : "[un] livre où le fragment est roi [.]" ne peut se soumettre à aucune tentative de résumé.
Aussi ai-je pris le partit de ne proposer qu'un certain nombre d'extraits, ceux qui me touchent particulièrement ou ceux qui me semblent les plus significatifs. Vous jugerez...

Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m'est une crucifixion.
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Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent !
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On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une partie, c'est cela et rien d'autre.
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Je décèle immanquablement une faille chez tous ceux qui s'intérressent aux mêmes choses que moi...
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Un patrimoine bien à nous : les heures où nous n'avons rien fait... Ce sont elles qui nous forment, qui nous individualisent, qui nous rendent dissemblables.
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S'il était possible d'identifier le vice de fabrication dont l'univers porte si visiblement la trace !
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Un silence abrupt au milieu d'une conversation nous ramène soudain à l'essentiel : il nous révèle de quel prix nous devons payer l'invention de la parole.
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La mission de tout un chacun est de mener à bien le mensonge qu'il incarne, de parvenir à n'être plus qu'un illusion épuisée.
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Pitiè pour celui qui, ayant épuisé ses resèrves de mépris, ne sait plus quel sentiment éprouver à l'égard des autres et de lui-même !
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Dans le Talmud, une affirmation stupéfiante : "Plus il  y a d'homme, plus il y a d'images du divin dans la nature."
C'était peut-être vrai au temps où fut faite la remarque, démentie aujourd'hui par tout ce qu'on voit et qui le sera plus encore par tout ce qu'on verra.
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J'escomptais assister de mon vivant à la disparition de notre espèce. Mais les dieux m'ont ètè contraires.
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On meurt depuis toujours et cependant la mort n'a rien perdu de sa fraîcheur.
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Lu quelque part le constat : "Dieu ne parle que de lui-même."
Sur ce point précis, le Très-Haut a plus d'un rival.
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Le mépris est la première victoire sur le monde ; le détachement, la dernière, la suprême.
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Je songe en ce moment à quelqu'un que j'admirais sans réserve, qui n'a tenu aucune de ses promesses et qui, pour avoir déçu tous ceux qui avaient cru en lui, est mort on ne peut plus satisfait.
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L'homme va disparaître, c'était jusqu'à présent ma ferme conviction. Entre-temps, j'ai changé d'avis : il doit disparaître.
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Puisqu'on ne se souvient que des humiliations et des défaites, à quoi donc aura servi le reste ?
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Pouvoir être blessé par ceux-là mêmes que nous méprisons discrédite l'orgueil.
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Est-il concevable d'adhérer à une religion fondée par un autre ?


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